BETE MAIS BON
Mercredi après-midi. Silence pesant dans une rédaction en apparence studieuse. Pas envie d’écrire. Marre de s’entendre dire qu’on est des incapables. Tension. Pas de perspective, plus de plaisir à se lever le matin et le découragement qui pointe le bout de son nez. Une seule envie : boucler ce papier inutile qu’on m’a demandé et rentrer à la maison. Sans directive claire, sans la moindre petite étincelle de proposition pour faire avancer la réflexion le cerveau s’atrophie au détriment de nos lecteurs dont on nous dit qu’ils sont légion. Et vu le niveau du concurrent, on ne demande qu’à le croire. Sauf que voilà : on a comme le sentiment de se retrouver tout seul avec un problème incommensurable à résoudre. Seul face à une inertie telle qu’elle nous tire inexorablement dans l'abîme. Alors il va nous falloir du courage pour pas le toucher. Et j’ai comme une baisse de moral là, en cette journée « des enfants » sombre et pluvieuse. Faut dire aussi qu’on est le 22, soient encore 18 jours à tenir avant que ne nous soient versés les 1.300 euros nets mensuels. Et dans ma tête commence la grande addition : loyer (650 euros), électricité (80 euros), téléphone portable perso devenu de boulot (40 euros), bouffe de midi (4 euros minimum le dwich soient 90 euros pour le mois minimum, 60 en comptant nos tickets à 3,05 euros), bouffe du soir (50 euros par semaine minimum à toi tout seul et encore sans la viande)… ça limite singulièrement les extras.
Bref, un de ces jours où je me demande ce que je fous là… Et
puis le téléphone sonne. Une dame, visiblement en colère. Son salaud de patron
refuse de la payer à la grille indiciaire, sans parler des heures sup’, elle et
ses collègues. Alors ils ont décidé de faire grève, de tout bloquer, « tant
pis si on perd tout de toute façon on n’en peut plus de travailler comme ça ».
C’est peut être moche à dire mais le malheur de cette brave dame me remonte le
moral. Sur place, la détermination de ces employées fait plaisir à voir. J’observe
attentivement comment elles s’y prennent. Je note, des fois que ça pourrait
servir, des tracts au battage médiatique. Un peu plus tard, dans la soirée, j’apprends
que l’intervention des caméras et autres journaleux n’a pas vraiment été du
goût de la direction. Les négociations ont commencé, « il y a de l’espoir » confie la dame. Une petite phrase qui se glisse tout droit dans mon cortex
et libère tout plein d’endomorphines. Tout bête et tellement bon…