LA CHAINE A DÉRAILLÉ

Une grosse barre qui tord le bide. Et un gros cafard qui broie le moral. C'est irréversible : les vacances sont terminées, faut reprendre le chemin de l'usine à gaz marseillaise. Ses mille et un tracas quotidiens générés par une organisation défaillante et ses belles effervescences ponctuelles, inexorablement réduites à néant. Au plus profond de mes sommeils estivaux, j'ai rêvé d'une Marseillaise fière d'elle-même, enchantée par son orchestre et ses nouveaux défis à relever, jour après jour, année après année. Et je ne retrouve qu'une pétaudière poussiéreuse qui pétarade mollement dans le sommeil de sa nuit, dans la solitude honteuse de ses locaux vaseux. Désespérant. Ça et là quelques esprits zélés s'évertuent à faire vrombir la machine, mais eux-mêmes ne se font plus d'illusions : aussi parfait qu'il soit à la sortie des rotatives - et il ne l'est pas -, le Canard n'accouchera que d'une souris. Parce qu'ils savent bien que la chaîne rouillée de l'entreprise a déraillé depuis longtemps. Certes, elle démarre et s'éteint chaque jour sans trop d'encombres… Mais entre les deux, quelle déperdition d'énergie ! Quels aléas ! Quelles frustrations essuyées ! Quelle impuissance et quelle absence de sens ! Quelle fatigue, au final… Pourquoi ? Pas suffisamment grand-chose justement… Juste un gros fardeau de problèmes financiers et professionnels sur les épaules. Du genre grosse barre qui te tords le bide et gros cafard qui te broies le moral. L'air du temps quoi… C'est ce que nous dit le dirlo, quand il écrit à la " base " : les raisons de votre pauvreté sont à chercher dans la crise de la presse et dans la politique du gouvernement de Droite. Et en négos, il te pleure devant le Syndicat qu'il sait pas comment s'acheter un pantalon ! A croire qu'il nous prend pour des idiots, avec les deux autres têtes du Triumvirat… Ils nous sous-payent de leur propre chef. Il nous font travailler dans la merde de leur propre chef. Et ils nous disent depuis des lustres qu'on sera payé normalement quand on vendra plus de journaux. Toujours de leurs propre chef. Sans présenter la moindre esquisse d'un début de plan de développement des ventes. Aidés en cela par une kyrielle de vassaux plus ou moins redevables. A qui je te prête un appartement de la Marseillaise et à qui je te paye une voiture de fonction… C'est sûr que ça change tout dans le budget, même si t'es pas payé à la convention collective. Mais nous, on sait que si on est pauvres, avec notre barre et notre cafard, alors qu'on rêve d'une Marseillaise enchantée, c'est parce qu'ils ne veulent pas, ou ne savent pas, remettre cette putain de chaîne sur son bon raïl. N'est-ce pas Jean-Claude ? la Marseillaise, c'est toujours ton journal préféré ?

Fabio M.